Et si la fantasy était en réalité le genre le plus hype du moment ? Et assurément le plus écologique de notre époque ?
Game of Thrones a clôturé sa dernière saison avec un budget d’environ 15 millions de dollars par épisode. C’est l’une des séries les plus coûteuses jamais produites. Devant elle, il y a The Lord of the Rings: The Rings of Power, avec 150 millions de dollars, sachant que les droits d’auteur du prequel sont estimés à 250 millions de dollars. Grâce à l’adaptation du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson et à l’incroyable Harry Potter de J.K. Rowling, la fantasy est sur le devant de la scène. Ces deux succès modernes ont permis l’émergence de Game of Thrones, The Witcher et, dans une certaine mesure, Vikings.
Et ce succès dépasse peut-être un simple effet de mode. Ces œuvres reflètent nos préoccupations modernes, notamment sur l’écologie, l’identité et le progrès.
En surface, les récits de fantasy offrent des quêtes épiques, des luttes intenses pour le pouvoir, et des confrontations saisissantes entre le bien et le mal. Mais derrière ces aventures se cachent des réflexions profondes sur la recherche de soi et de son identité, ancrées dans des mondes en crise, en perpétuel déclin. C’est peut-être ce qui fait que ce genre nous attire autant aujourd’hui : il évoque nos propres dilemmes contemporains.
Ce qui est fascinant, c’est que sous le prétexte de mondes imaginaires, la fantasy explore des enjeux très actuels : écologie, survie, équilibre des forces. Les mondes de Westeros, de la Terre du Milieu ou du Continent de The Witcher offrent des espaces où l’on peut questionner l’impact de nos choix, des choix qui dépassent l’individu pour toucher la société tout entière.
La fantasy devient alors un espace immersif où l’on s’évade, oui, mais où l’on retrouve aussi nos interrogations sur la technologie, les valeurs collectives, et la place de l’humain face aux forces qui le dépassent.
Mais ce n’est pas étonnant, c’est inhérent au genre même. J’ai appris il y a peu, en écoutant Nota Bene, ses origines. Anne Besson l’explique ainsi :
Aux origines, la fantasy émerge au XIXe siècle dans une Angleterre en pleine révolution industrielle. Le paysage se transforme, les villes s’étendent, et avec elles, la pollution et la déshumanisation de l’ère industrielle. C’est le « progrès » qui donne naissance au genre. En réaction à ce progrès mécanique, la fantasy se dresse comme une nostalgie d’un monde plus pur, un “âge d’or” imaginaire où la nature reprend ses droits. En fait, dès le début, le genre est l’expression d’un sentiment écologique, de sensation de perte de valeurs. Il va donc ancrer ses récits dans des paysages magnifiques, et réinjecter du sacré, de la destinée pour redonner un sens à l’humain, à sa vie.
Donc il n’est pas étonnant que ces récits résonnent en nous aujourd’hui.
La fantasy regroupe un ensemble de mythes modernes qui interrogent notre rapport à la technologie et aux enjeux mondiaux actuels, en puisant dans des mondes fictifs où la nature est préservée et où les héros luttent pour un équilibre plus vaste. Elle nous renvoie à un besoin de lenteur, d’harmonie, et de respect des forces qui nous dépassent, des valeurs essentielles que la modernité met souvent sous pression.
La fantasy, par son style visuel, appelle en fait à la décroissance et au respect des lois de la nature. Sous couvert de magie et du merveilleux, la fantasy nous parle d’un monde tangible dans lequel nous vivons, mais un monde qui risque de disparaître dans le gouffre de Khazad-dûm. Ce genre, en intégrant le merveilleux, réinvente des sociétés où la nature n’est pas sacrifiée au profit du progrès.
Et c’est finalement la question posée : le progrès est-il une nécessité ? « Et si on arrêtait le progrès ? » Laura Raim a tenté de répondre à cette question dans son podcast Les Idées Larges avec François Jarrige.
Et si la fantasy nous apprenait que le véritable enchantement réside non pas dans le progrès, mais dans notre capacité à préserver et respecter ce qui nous entoure ?
NB
Anne Besson est une chercheuse et professeure en littérature française spécialisée dans les littératures de l’imaginaire, particulièrement la fantasy et la science-fiction.
“Les Idées Larges” est un podcast animé par Laura Raim qui explore des questions contemporaines autour de la société, de l’économie, et du progrès.