Stephen King : démocrate convaincu ou républicain masqué ?

En lisant Stephen King, je m’étais souvent imaginé l’auteur comme une sorte de cow-boy moderne. Un type un peu à la Charles Bronson, indépendantiste à l’américaine, pro-port d’armes, méfiant envers l’État, mais fondamentalement humaniste. Quelqu’un qui écrit pour la middle class et les ouvriers, les “petites gens”, tout en ayant ce côté héroïsme individuel qu’on retrouve dans ses romans.

Mais au fil des pages, Stephen King se révèle plus complexe que cette image clichée. Plus ambigu.

Au début de sa carrière, King ne faisait pas de politique. Il se concentrait sur le social : une peinture de la middle class américaine. Avec Carrie, Cujo, Christine ou encore Ça, il dépeint des ouvriers, des mères épuisées par le quotidien, des enfants confrontés aux fractures de la société. Des vies ordinaires face à des pressions économiques, familiales, parfois monstrueuses (toute la famille intellectuelle de Denis Cunnigham s’explose dans Christine). 

L’horreur n’est pas toujours surnaturelle chez King. Dans Carrie, l’horreur ne naît pas du surnaturel, mais du rejet social et de la cruauté adolescente, montrant déjà son intérêt pour les fractures invisibles de la société. Et souvent c’est ce que j’appréciais. Il parlait de social, d’adolescence, de grandir et des questionnements de cet âge. L’horreur  naît souvent du désespoir, de l’isolement, ou du poids écrasant des attentes sociales. À cette époque, il se positionne comme un observateur, un chroniqueur du “petit peuple”. Pas de politique explicite, mais un regard acéré sur une Amérique qui souffre en silence.

Et puis, King a grandit, il est devenu “adulte”, peu à peu après Ça d’ailleurs qui marque l’âge de la bascule, et il s’est politisé. Dans ses œuvres récentes, l’ombre de Trump plane souvent, et le ton devient plus explicite. L’institut critique les abus de pouvoir. Là où dans Charlie la peur venait du pouvoir de l’individu, où la solution face au Gouvernement venait d’un magazine privé dans l’Institut c’est le système privé qui est devenu tortionnaire.  Billy Summers s’intéresse aux violences systémiques, l’horreur n’est plus interne et individuelle, elle devient externe et contextuelle. King, sans jamais renier son côté populaire, est devenu un auteur engagé.

Est-il donc devenu un démocrate pur et dur ? Pas sûr. Stephen King critique Trump et les dérives autoritaires, mais il n’épargne pas non plus le peuple. Et c’est là que les ambiguïtés apparaissent.

Derrière le masque du démocrate bon teint se cache une vision parfois élitiste, voire paternaliste :

  • Les femmes dans ses œuvres : souvent fortes et résilientes, mais aussi fantasmées, emprisonnées dans des récits de “rape revenge” ou de traumatismes récurrents (Dolores Claiborne, Jessie). Une représentation puissante, mais marquée par un prisme masculin.
  • Les personnages noirs : ils sont fréquemment sages ou faire-valoir (La Ligne Verte), des figures paternalistes qui manquent de profondeur ou d’autonomie.
  • Le peuple : dans l’univers de King, les foules sont rarement héroïques. Elles sont manipulables, irrationnelles, dangereuses (The Mist, Under the Dome). Et ce point n’a pas changé compte tenu des années qui séparent ces deux romans (30 ans).  Il y a une méfiance envers la masse, et une idéalisation de l’individu éclairé. Et c’est bien là qu’on retrouve King.

King critique le pouvoir et l’argent, mais il reste profondément méfiant envers le peuple qu’il représente. Il semble fantasmer une sorte de philosophicratie, où le pouvoir devrait revenir à des intellectuels éclairés plutôt qu’à une démocratie brute et instable. Il semble se voir en parallèle des autres en tant qu’intellectuel, et la réponse se trouve à ce niveau pour lui. Et pourtant, ce n’est jamais la solution. Depuis Poste de nuit en passant par Christine jusqu’à Billy Summers, si les intellectuels trouvent les solutions, ils sont souvent obligés de passer par le sacrifice pour faire aboutir leur cause.

Alors qui est King et ses récits servent-ils à éveiller les consciences ou à nourrir un système capitaliste qu’il dénoncent par ailleurs ? Ses romans – largement adaptés, vendus et consommés – perpétuent une industrie de la peur et de la dépendance culturelle.

Ce qui est sûr c’est qu’il reste un paradoxe fascinant : un humaniste qui critique la société, mais qui la juge sévèrement. Un anti-Trump évident, mais pas forcément un pro-peuple. Peut-être est-il un peu des deux, comme l’Amérique elle-même : complexe, contradictoire, toujours en tension entre espoir et désillusion. 

Dans Anatomie de l’horreur, King lui-même se posait déjà la question : l’auteur fantastique est-il un conservateur qui rétablit l’ordre, un sadique utilisant ses récits comme catharsis, ou simplement un enfant des années 60 qui s’éclate sans complexes dans un monde moderne ? Nous sommes aujourd’hui au XXIe siècle. Son évolution montre qu’il reste fidèle à cette dualité, oscillant entre critique sociale et fascination pour l’ordre perdu.